LA STRATEGIE EUROPEENNE ET BELGE POUR LA REGION DU SAHEL : LES ENJEUX, LES ACTIONS ET LES PERSPECTIVES Ouahigouya, le 28/10/2020

Extrait !

Monsieur le Représentant Spécial de l’Union européenne pour le Sahel,

Monsieur le Directeur Général des Affaires Multilatérales et de la Mondialisation (DGM),

Monsieur le Coordinateur pour la politique sahélienne,

Monsieur le Directeur général de la Coopération au développement et Aide humanitaire (DGD), Mesdames et messieurs les présidents des commissions et secrétariats,

Mesdames et messieurs les députés,

 

La région du Sahel est confrontée depuis les années 2000 à d’énormes défis. Outre les défis liés non seulement à l’environnement et au climat, mais aussi au sous-développement qui caractérisent la région, celle-ci doit aujourd’hui faire face à des défis d’ordre sécuritaire, qui mettent en péril l’existence même des fragiles États-nations sahéliens. 1. Les défis structurels liés à l’environnement, au climat et au sous développement.

On le sait, les États sahéliens, situés en bordure du désert, sont menacés par la désertification. La région a souvent été en proie à des sécheresses qui ont produit des catastrophes sur le plan agricole mais aussi sur le plan humain avec son cortège de famines. Ces dernières années, les effets du dérèglement climatique ont durement frappé la région. Avec la dégradation des terres, aggravée par une croissance démographique galopante, le réchauffement climatique, et la crise du foncier rural caractérisé par la raréfaction des terres, les conditions d’une plus grande insécurité alimentaire sont désormais réunies. Il est prévu qu’à l’horizon 2050 la population sahélienne passe de 85 à plus de 200 millions d’habitants. Cette démographie galopante peut constituer un atout, mais elle peut constituer également une grande faiblesse si elle ne s’accompagne pas d’un développement suffisant. Déjà avec la crise sanitaire due à la pandémie du covid-19, les efforts consentis sur le plan du développement économique risquent d’être entravés. Dans ce contexte, le risque est grand que cela se traduise par davantage de tragédies dans la région sous forme de migrations forcées, davantage d’instabilité politique, d’insécurité, de conflits liés à la rareté des ressources et de tentations extrémistes.

2 2. Les nouveaux défis : les défis d’ordre sécuritaire (mettre l’accent sur les acteurs) mettant en péril les fragiles Etats-nation Comme le montre une étude conduite par l’Alliance Sahel, trois éléments permettent de caractériser les contours de cette crise : v Les conflits qui traversent le Sahel traduisent une certaine crise de confiance entre d’une part certains groupes marginalisés ou qui se perçoivent comme tels et d’autre part les institutions des Etats. Les institutions des Etats ne parviennent pas à protéger les populations locales, à rendre la justice de manière satisfaisante en termes d’accessibilité, d’indépendance et d’impartialité. En outre, le développement du capital humain n’est pas garanti de manière équitable par les Etats, lesquels ne parviennent pas non plus à assurer de manière inclusive une gestion partagée des ressources naturelles et les conditions d’un développement économique équitable. En conséquence, le fonctionnement des institutions étatiques devient source de frustrations. Autrement dit, les Etats suscitent la contestation parce qu’ils produisent des exclusions au niveau des territoires et/ou au niveau de certains groupes. Le récent coup d’Etat au Mali illustre parfaitement cette situation. Obligés d’accroître les dépenses militaires pour faire face à la crise sécuritaire, les Etats sahéliens voient leur marge de manœuvre budgétaire réduite pour s’attaquer aux causes structurelles des conflits. Comment financer en même temps l’offre de services publics que réclament les régions déshéritées et l’accroissement des dépenses militaires ? Comment promouvoir le développement socioéconomique de ces régions lorsqu’en même temps l’insécurité oblige les projets/programmes de développement ainsi que le peu de fonctionnaires résidant dans la région à déserter les lieux ? Telle se présente la quadrature du cercle pour les Etats sahéliens. Aujourd’hui, le risque (pour les Etats sahéliens et les partenaires internationaux) c’est l’accroissement des budgets de la sécurité au détriment des autres domaines socio-économiques.

Le second élément découle de la première caractéristique, et est lié à l’importance des dynamiques d’exclusion et d’injustice, réelles ou perçues, dans les facteurs explicatifs des conflits au Sahel. C’est moins la pauvreté et le sous-développement, que l’exclusion ou la perception d’exclusion économique, sociale et politique, elle-même enracinée dans les inégalités d’accès aux opportunités et les discriminations, qui offre aux groupes armés le terreau favorable à la diffusion des discours de libération par la violence. L’arrivée d’acteurs en armes dans des zones fragiles donne 3 aux populations en situation de marginalité des moyens de se protéger, de contester ou de changer l’ordre des choses. Cette raison est bien utilisée par certains leaders des groupes armés terroristes pour justifier leur lutte et recruter de nombreux adeptes.

Le troisième élément important c’est l’hybridation des appartenances et des types de violence au Sahel Depuis 2015 en particulier, les frontières entre rébellions et insurrections, extrémisme violent, autodéfense communautaire et banditisme se brouillent. Dans certaines zones, la violence s’exprimant à travers les groupes extrémistes violents avait un caractère insurrectionnel, les groupes armés proposant de remplacer un Etat considéré comme discriminant par un contre-modèle théocratique qui se veut plus égalitaire. Dans d’autres zones, c’est en offrant leur protection à des groupes vulnérables s’engageant dans une dynamique d’auto-défense que les groupes extrémistes violents parviennent à s’implanter. Ce constat d’une fluidité des appartenances et des motivations doit conduire à s’interroger sur l’adaptation à la situation actuelle des stratégies de stabilisation tant au niveau national qu’au niveau international. La crise actuelle que traverse le Sahel révèle la fragilité des processus de construction d’Etats-Nations dans la région. L’Etat moderne suppose que le pouvoir central dispose du monopole militaire. Or, l’actualité au Sahel révèle qu’il a au contraire perdu ce monopole avec la multiplication non seulement de groupes armés terroristes mais aussi des groupes d’autodéfense constitués par les populations face à l’incapacité de l’Etat de les protéger. Cette situation a parfois conduit à des violences communautaires et des abus en matière de droits de l’homme, qui ne font qu’alimenter la spirale de la violence. Construire ou reconstruire des appareils sécuritaires fonctionnels susceptibles de conférer ce monopole que les Etats n’auraient jamais dû perdre est un défi à relever. Comme indiqué précédemment, la sous-administration des territoires, l’abandon de certains de ces territoires par les Etats, incapables d’offrir aux populations les services publics dont elles ont besoin sont aussi l’une des causes du problème. Déployer l’administration sur l’ensemble du territoire national et améliorer son mode de fonctionnement dans la relation avec les populations locales constitue aussi une urgence. Dans le même sens, les efforts doivent être davantage consentis pour rééquilibrer les territoires en matière de développement socioéconomique, de création d’infrastructures et de pôles de croissance économique. Tant que les bénéfices de la croissance ne seront pas judicieusement répartis 4 entre les territoires et les groupes sociaux, la tentation de subvertir l’Etat central sera permanente. 3. Quelques pistes d’actions v Renforcer la présence et la crédibilité des Etats dans les régions, les localités où cette présence est quasi inexistante ou contestée à travers l’accès aux services sociaux de base v Appuyer les Etats d’une part dans le processus de la bonne gouvernance notamment au niveau de la justice et d’autre part dans le processus de la réconciliation v Renforcer l’éducation, les compétences et la facilitation de l’accès à l’emploi notamment des jeunes et des femmes v Accroitre la résilience socio-économique des couches et des communautés les plus vulnérables face aux effets du changement climatique et à l’extrémisme violent v Soutenir les initiatives et les associations en faveurs de la promotion du dialogue interreligieux et communautaire v Promouvoir une plus grande participation de la société civile aux différentes politiques, stratégies pour le Sahel et à une redevabilité vis-à-vis des acteurs locaux v Mettre la protection des civils et la sécurité humaine au cœur de la réponse au Sahel v Veiller à une plus grande accessibilité des populations victimes et vivant dans les zones difficiles d’accès, en appuyant davantage les ONG et associations locales v Avoir une approche nexus humanitaire-développement-paix dans les stratégies et programmes d’aide au Sahel Le Sahel se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Mais il n’y a pas de fatalité. Malheureusement, la crise au Sahel semble être la moins connue ou qui intéresse le moins certains pays occidentaux. En dépit de la situation de détresse, il faudra donner un visage humain à la crise au Sahel. Il ne faudra pas que le bruit des armes, et des conflits d’intérêts noient les cris de tant de femmes et d’enfants. Il nous faut passer de simples spectateurs qui suivent les éléments à travers les médias aux acteurs de changement. Un engagement conjoint des pays du Sahel et de leurs partenaires peut permettre de relever ces défis. L’impact de toutes les politiques, les stratégies pour le Sahel passe inéluctablement par une meilleure connaissance du terrain, une bonne analyse des différents enjeux socio- 5 économiques, sécuritaires, climatiques cela en impliquant et en responsabilisant davantage les acteurs locaux sur l’échelle communautaire et à l’échelle nationale, mais aussi en promouvant dans la mesure du possible la mise en œuvre des différents accords de paix qui passe par le dialogue entre tous les acteurs légitimes et impliqués. Pour éviter l’incompréhension, le sentiment d’imposition de leurs visions, stratégies, que les groupes terroristes pourraient exploiter, il faudra mettre un accent particulier sur la Communication-Redevabilité-Coordination-Transparence. Je remercie l’UE et la Belgique pour l’intérêt et les soutiens multiformes dont bénéficient les pays du Sahel. J’ose croire qu’au-delà des sentiments de compassion, des discours de condamnation se forme au niveau international une prise de conscience accrue, une solidarité, un engagement sans feinte pour la paix, la stabilité et l’amélioration des conditions de vie des populations. Abbé Victor OUEDRAOGO Directeur du Centre Diocésain de Communication (CDC) Coordonnateur des projets/programmes Membre de la Coalition citoyenne pour le Sahel Burkina Faso.

Roger SAWADOGO

Chargé des programmes

News Reporter

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